
Plongée au cœur
des cellules pérovskites
Cette publication du projet MINOTAURE décrit un nouveau dispositif basé sur des sondes « upconversion », capable de mesurer en temps réel la température interne des cellules solaires à base de pérovskites. Cette technique pourrait permettre de mieux comprendre les mécanismes de vieillissement, pour augmenter la longévité de cette technologie efficace et bon marché, mais instable sur le long-terme.
Par Zhuoying Chen (LPEM)
Les cellules solaires à base de pérovskites ont connu une ascension remarquable en un peu plus de dix ans, en atteignant des rendements proches de ceux du silicium tout en étant moins énergivores et potentiellement moins coûteuses à fabriquer. Toutefois, leur instabilité en fonctionnement demeure l’un des principaux obstacles à leur commercialisation. Lorsque ces cellules sont exposées à la lumière, à la chaleur ou à l’humidité, elles se dégradent : leur structure évolue, leurs propriétés optiques changent, et leurs performances diminuent.

© Cyril FRESILLON / IPVF / CNRS Images
Un point crucial mais encore mal compris concerne ce qui se passe aux interfaces internes, c’est-à-dire entre les différentes couches empilées qui composent la cellule. Ces interfaces sont pourtant les lieux où débutent souvent les réactions chimiques et mécaniques responsables de la dégradation. Or, elles sont enterrées sous plusieurs centaines de nanomètres de matériau, donc invisibles aux techniques de mesure classiques : impossible, par exemple, de mesurer directement la température locale dans ces régions confinées alors que cette information est essentielle pour comprendre les mécanismes de vieillissement.
Notre motivation initiale était donc de développer un outil capable de “voir” à l’intérieur du dispositif et de mesurer en temps réel la température locale à ces interfaces critiques, tout en permettant une étude in situ de la dégradation induite par un éclairement continu et un suivi périodique des performances de la cellule. C’est ce défi que notre travail s’attaque à relever.
Dans ce travail, nous introduisons une méthode entièrement nouvelle pour étudier la dégradation des cellules solaires pérovskites directement pendant un protocole in situ où la cellule est soumise à un éclairage continu tout en restant périodiquement caractérisée électriquement. Pour cela, nous intégrons à l’intérieur du dispositif de minuscules nanoparticules dites « upconversion », composées de fluorures dopés avec des terres rares. Ces nanoparticules possèdent une propriété remarquable : lorsqu’elles sont éclairées par une lumière infrarouge, elles réémettent une lumière visible dont l’intensité dépend fortement de la température locale. Elles se comportent donc comme de toutes petites sondes thermométriques à l’échelle nanométrique.
Nous plaçons ces nanoparticules précisément à l’interface entre la couche de pérovskite, le matériau actif, et la couche extractrice de trous (HTL), une interface où la dégradation est souvent initiée. La dégradation est accélérée par un laser bleu continu, tandis que nous mesurons simultanément la température locale grâce aux nanoparticules, les propriétés optiques du dispositif et, à intervalles réguliers, les performances photovoltaïque de la cellule. Cette approche permet ainsi, pour la première fois, de suivre en temps réel et à l’intérieur même du dispositif l’évolution couplée de la température interfaciale, de l’absorption et photoluminescence de la couche active, et des performances photovoltaïques.

Les résultats montrent que la température à l’interface ne suit pas une simple augmentation linéaire. Trois régimes distincts apparaissent selon l’intensité lumineuse appliquée. Sous illumination faible à modérée, la température interne augmente progressivement, un comportement cohérent avec une accumulation de chaleur plus rapide que sa dissipation. Sous illumination très intense, la température diminue au cours du temps, car la pérovskite se décompose progressivement et absorbe de moins en moins la lumière du laser, entraînant une réduction de la chaleur générée. Entre ces deux situations, un régime intermédiaire présente une dynamique mixte : la température augmente d’abord, atteint un maximum, puis décroît, traduisant une évolution où l’accumulation de chaleur finit par céder face à la décomposition du matériau actif, qui absorbe progressivement moins la lumière et génère moins de chaleur.
Des analyses optiques et structurales supplémentaires ont permis d’établir un lien direct entre ces signatures thermiques, les transformations physico-chimiques du matériau et l’évolution des performances photovoltaïques. Ces observations montrent que la température interfaciale suivie par nanothermométrie constitue un indicateur sensible de l’évolution interne du dispositif. Les tendances thermiques que nous mesurons ne sont pas monotones : elles reflètent la succession de différents mécanismes de dégradation et permettent de distinguer plusieurs régimes au cours du vieillissement du dispositif. La température apparaît ainsi comme un traceur précieux pour identifier en temps réel les transformations physiques et chimiques qui se déroulent aux interfaces enfouies.
Comprendre le vieillissement pour le contrer
Les résultats obtenus démontrent que la nanothermométrie constitue un outil extrêmement puissant pour décrypter les mécanismes de vieillissement des cellules solaires à pérovskites. En révélant ce qui se passe réellement aux interfaces enterrées, cette méthode ouvre la voie à la conception de dispositifs plus stables, grâce à un choix plus judicieux des matériaux d’interface, des architectures et des procédés de fabrication.

© Cyril FRESILLON / IPVF / CNRS Images
Au-delà des cellules pérovskites, la stratégie pourrait être appliquée à de nombreux autres dispositifs optoélectroniques, par exemple, les LEDs, photodétecteurs, cellules photovoltaïques multi-jonctions, où les phénomènes thermiques locaux jouent un rôle déterminant mais sont difficiles à mesurer.
Notre approche apporte également un éclairage nouveau sur la manière dont on peut suivre et analyser la dégradation des cellules, en s’appuyant sur des mesures internes plutôt que sur des signatures macroscopiques. Elle ouvre ainsi la voie à de futures techniques d’imagerie thermique embarquées dans les dispositifs eux-mêmes.
À plus long terme, cette méthodologie pourrait contribuer à l’émergence de dispositifs « auto-diagnostiqués », capables de signaler leur propre état de santé en temps réel grâce à de telles sondes internes.
Ces travaux s’inscrivent dans une démarche de recherche fondamentale visant à développer de nouvelles méthodes d’analyse pour mieux comprendre la stabilité des dispositifs photovoltaïques à pérovskites. Au-delà des résultats présentés, cette approche méthodologique offre un outil original qui pourra être réutilisé par d’autres équipes pour diagnostiquer finement les mécanismes de dégradation dans leurs propres dispositifs. Elle ouvre également des perspectives plus larges : l’amélioration future de sondes upconversion plus brillantes ou plus sensibles pourrait permettre des diagnostics encore plus simples, plus rapide et plus précis, et potentiellement élargir le champ d’application de la nanothermométrie à d’autres architectures ou matériaux.
« Nanothermometry-Guided In Situ Decoding of Perovskite Solar Cell Degradation under Optical Stress », DOI : 10.1016/j.nanoen.2025.111405
Zhuoying Chen, LPEM, CNRS UMR 8213, ESPCI Paris-PSL, Sorbonne Université
Cette publication entre dans le cadre du projet Minotaure, piloté par Jean-Paul KLEIDER, Directeur de recherche CNRS au GeePs. Ce projet vise à répondre aux problèmes de fiabilité et de durabilité des nouvelles technologies de cellules photovoltaïques, qui constituent un enjeu majeur pour leur industrialisation et leur pénétration sur le marché.
Le projet réunit un ensemble de partenaires possédant des expertises complémentaires dans différents domaines de caractérisation et de modélisation et prévoit de déployer ces expertises dans une approche globale et multimodale pour appréhender les mécanismes de dégradation des cellules, les analyser et les comprendre, pour ensuite pouvoir les contourner ou les éliminer.
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